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25 Rencontre avec Niels Schneider :“Le Festival de Cannes, c'est un peu la tombola”

Rencontre avec Niels Schneider :“Le Festival de Cannes, c'est un peu la tombola”

Cinéma

L'acteur césarisé en 2017 est à l'affiche de Sentinelle sud, où il incarne, à l'inverse de ses précédents rôles de jeune homme délicat, un soldat rustre et taciturne. Rencontre avec l'un des piliers du cinéma français. 

Niels Schneider, en 2019, au Festival International du film de Saint Jean de Luz (Claude Medale/Getty Images) Niels Schneider, en 2019, au Festival International du film de Saint Jean de Luz (Claude Medale/Getty Images)
Niels Schneider, en 2019, au Festival International du film de Saint Jean de Luz (Claude Medale/Getty Images)

Après avoir été, un temps, l'acteur fétiche de Xavier Dolan et obtenu, en 2017, le César du “meilleur espoir masculin” pour Diamant noir d’Arthur Harari, Niels Schneider continue de s'illustrer comme l'un des piliers du cinéma français. Rencontré à quelques jours du second tour de l'élection présidentielle française pour laquelle il incitait fermement à voter Macron, l'aîné d'une fratrie d'artistes d'origine canadienne sera bientôt, et comme tous les ans depuis un moment déjà, sur le tapis rouge du Festival de Cannes, non pas pour y défendre un film mais soutenir sa compagne Virigine Efira, qui présente cette année la cérémonie. En attendant, on le retrouve à l'affiche de Sentinelle sud (avec Sofian Khammes et Denis Lavant), où il incarne, à l'inverse de ses précédents rôles de jeune homme délicat, un soldat rustre et taciturne.

 

Numéro : Avant de débuter le tournage de Sentinelle sud, le milieu de l’armée vous était-il familier ? 

Niels Schneider : Pas du tout. Mais quand on voit les images de la guerre en Ukraine, qu’on entend des choses sur le groupe Wagner [armée de mercenaires privée russe], on imagine… On parle moins, en revanche, de ce qui se passe dans l’armée française, même si je savais qu’il y avait du trafic d’opiacés sur le terrain en Afghanistan. 

 

Comment vous êtes-vous préparé pour le rôle ?

J’ai regardé beaucoup de témoignages, dont une conférence TED où un soldat raconte son attrait initial pour l’armée, et de documentaires, dont Of Men and War [2014]. C’est dingue : on voit des soldats américains rentrer d’Irak, ils sont totalement bousillés et hantés par la mort.

 

Le stress post-traumatique est-il, à votre sens, la thématique principale du film ?  

C’est un film social sur le retour des soldats à la vie civile – une thématique peu abordée en France –  et sur leur insertion dans une société très individualiste. Mais également sur le besoin de faire lien avec l’autre, celui de se créer une famille…

 

Votre grand-mère est d’origine russe, quelle est son histoire ? 

Elle a fui la révolution russe en 1920. Elle était vraiment toute petite quand elle est arrivée en France.

 

Avez-vous une attache particulière à ce pays et à sa culture ?

Ma grand-mère, qui est décédée aujourd’hui, ne parlait même plus la langue, donc ce n’est pas une culture qui m’a été transmise. En revanche, j’ai été fou très jeune des auteurs russes, dont Dostoïevski, et du cinéma également. J’aimerais dire qu’il ne faut pas faire d’amalgame : c’est fou la rapidité avec laquelle il y a eu un mouvement anti-russe. Comme une grande partie du peuple, les artistes n’ont rien à voir avec le conflit. 

 

Justement, le Festival de Cannes invite Kirill Serebrennikov qui présente un film en sélection officielle. Beaucoup déplorent le manque de nouveaux auteurs en sélection officielle, partagez-vous cet avis ? 

C’est très compliqué de faire une sélection: il faut prendre des films différents, créer un équilibre et, en même temps, faire revenir des habitués, parce que c’est normal qu’un festival suive un auteur… C’est quand même, il faut le dire, la tombola. À la Quinzaine des Réalisateurs ou à Un certain regard, on retrouve pas mal de premiers longs-métrages... un festival n’est pas forcément là pour montrer les meilleurs films de l’année, et ceux qui établissent les sélections se trompent souvent… Il ne faut pas essayer de chercher une vérité là-dedans.

 

Gaspar Noé, qui a récemment sorti en salle son film Vortex est, pour beaucoup, considéré comme l'un des cinéastes français les plus importants. Il n’est pourtant jamais invité aux César. Pourquoi selon vous ?

Je ne savais pas ! Les César sont un endroit très particulier : ils se situent à mi-chemin entre la critique et le public. Gaspar Noé fait un cinéma underground et radical – que j’adore au demeurant. C’est normal qu’il ne soit pas invité à chaque film et, surtout, il doit s’en foutre ! Ça ne lui ferait sans doute pas plaisir de plaire au plus grand nombre et de faire cinq millions d’entrées. 

 

Votre avant-dernier film, lui, a été très plébiscité par l’Académie des César, avec treize nominations en 2021. Il est signé Emmanuel Mouret, un cinéaste réputé pour sa direction d’acteur extrêmement chorégraphiée. Vous a-t-il laissé quelques libertés ?

Certes, il y a plus de contraintes qu’avec un autre réalisateur et ça peut être déstabilisant au début. Par exemple, tu ne dois pas marcher naturellement mais faire des tout petits pas… C’est ce qui fait le charme des films d'Emmanuel Mouret et j’aime ça. La liberté totale m’angoisse. Si on me disait : “Invente la scène”, j’aurais hyper peur ! Partir dans des impros comme le fait Jonathan Cohen, par exemple, je ne pourrais pas !

Niels Schneider dans “Sentinelle Sud” (2022) de Mathieu Gerault Niels Schneider dans “Sentinelle Sud” (2022) de Mathieu Gerault
Niels Schneider dans “Sentinelle Sud” (2022) de Mathieu Gerault

Votre plus jeune frère Vassili, qui est acteur depuis peu, a joué dans le dernier film de Valeria Bruni Tedeschi qui sera présenté en compétition à Cannes. Lui avez-vous donné un conseil ou formulé une mise en garde en particulier ?

Quand tu es acteur, on te demande rarement ton avis. On te dit toujours quoi faire, quel costume porter, comment te coiffer… On projette un truc sur toi, c’est l’ADN de ce métier. Je ne sais pas si je lui ai déjà dit mais il ne faut pas oublier son propre désir, sinon tu peux te perdre et devenir taré. Tout est question d’équilibre : rester en phase avec son désir et être souple vis-à-vis d’un réalisateur. 

 

C’est frustrant pour vous ? 

De moins en moins. Parce qu’avec le temps, on a plus le luxe de choisir quel regard se pose sur nous. 

 

C’était donc difficile au début ?

Au début, tu veux juste travailler ! Et c’est souvent avec des gens dont tu n’aimes pas le regard…

 

Vous avez débuté au Canada, où votre père Jean-Paul était acteur. Vous êtes-vous parfois senti obligé de suivre ses pas ?

Le jeu, c’était le truc de mon grand frère. C’était au cœur de sa relation avec mon père. Moi, je me sentais un peu dehors. Quand mon frère est parti, ça m’a fait du bien de commencer à faire du théâtre pour me rapprocher de lui… C’est là que je me suis trouvé. 

 

Vous venez de remplacer Gaspard Ulliel, récemment décédé, sur le tournage de la série Tikkoun de Xavier Giannoli. S’il y en a eu, quelles questions vous êtes vous posées avant d’accepter le rôle ?

J’ai directement pensé à l’équipe – à ce qu’ils pourraient ressentir en voyant quelqu’un d’autre débarquer alors qu’ils avaient débuté le tournage vingt jours avant l’accident et que tout le monde se connaissait et s’entendait très bien. Ça peut être bizarre de voir, d’un coup, un autre acteur rejouer certaines scènes… Mais ils ont été hyper accueillants. Je crois que le drame a soudé l’équipe. 

 

Êtes-vous croyant ou spirituel ?

Même si mes parents se sont vraiment éloignés de l’Eglise, je viens d’une famille chrétienne pratiquante… Alors oui, je crois en l'au-delà. 

 

Sentinelle sud (2022) de Mathieu Gerault, avec Niels Schneider, Sofian Khammes et Denis Lavant. En salle mercredi 27 avril 2022.