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De la toge de César à la cravate de Jadot, petite histoire des habits du pouvoir

Des coupes et des couleurs. Le dress code du pouvoir est une affaire d'Etat. De la toge de Jules César à la cravate de Yannick Jadot, en passant par le bicorne de Napoléon, retour sur une histoire pleine de fastes, de symboles et parfois d'hypocrisie.

Emmanuel Macron, le 12 octobre 2021, lors de la présentation du plan «France 2030». Le président de la République plébiscite le bleu pour ses costumes.
Emmanuel Macron, le 12 octobre 2021, lors de la présentation du plan «France 2030». Le président de la République plébiscite le bleu pour ses costumes. (Denis ALLARD/Leextra via opale.photo)

Par Sabine Delanglade

Publié le 31 mars 2022 à 11:00Mis à jour le 1 avr. 2022 à 01:11

Vous avez remarqué ? Cette campagne présidentielle aura été pleine de péripéties. Yannick Jadot en sait quelque chose. Elle ressembla pour lui à un effeuillage, d'abord son bracelet brésilien, puis son jean, avant, toujours sur les conseils de son équipe, de mettre une cravate. Ah que c'est dur d'être présidentiable ! De la toge de Jules César à la cravate de Jadot, vingt siècles d'habillement politique vous contemplent. Poignardé par son fils Brutus, César ne gaspilla pas son dernier souffle à méditer sur l'ingratitude filiale. Il le consacra à réajuster le drapé de sa toge. Ce vêtement réservé au citoyen était un symbole du pouvoir, la perfection de son pli, un signe d'éducation. Impossible d'y déroger. François et Dominique Gaulme le racontent dans un superbe ouvrage illustré sur l'histoire politique du vêtement masculin. Durant des siècles, à commencer par l'étui pénien richement orné, le détenteur du pouvoir devait, au premier coup d'oeil, être distingué du commun des mortels.

En Chine, la couleur jaune était réservée à l'empereur. En France, les lois somptuaires décryptées dans Sapé comme jadis déterminaient le rang social nécessaire à l'accès de certaines matières ou couleurs tels le pourpre à la famille royale ou la zibeline aux princesses de sang. Ce souci de l'exclusivité pouvait aller très loin. L'empereur Héliogabale ne portait jamais deux fois son linge, ni ses chaussures, ni ses bijoux, et ne gardait une femme que pour une nuit. Pas encore « woké » celui-là ? Le vêtement était ce qui sépare, permettait de marquer visuellement une différence.

«César dictant ses commentaires», peinture de Pelagio Palagi. La toge était un symbole du pouvoir.

«César dictant ses commentaires», peinture de Pelagio Palagi. La toge était un symbole du pouvoir.NPL - DeA Picture Library/Bridgeman images

 Aujourd'hui, c'est l'inverse : « L'idée démocratique s'est imposée. Il n'est plus question de se faire remarquer », observe, et visiblement regrette, Dominique Gaulme. Même le futé Tony Blair s'était fait prendre au piège. Il avait cru pouvoir céder à sa passion toscane en s'habillant chez Brioni. Les Anglais n'ont pas apprécié. L'adepte de la troisième voie a dû revenir chez Paul Smith. On était alors en pleine guerre des paddings, épaules rembourrées, dissimulation des corps à l'anglaise, veste corsetée contre coupe souple à l'italienne.

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Blair a réchappé de cette bataille des coupes, mais celle-ci fit en France un grand blessé, Edouard Balladur. Son costume trop bien ajusté par Henry Poole, le tailleur londonien d'Edouard VII et Napoléon III, avait, raconte Dominique Gaulme, « fini par le résumer tout entier », petit marquis poudré tel que Plantu l'immortalisa. Vous connaissez la suite. On notera que, dans ce camp des « cintrés » figurent également Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev, l'ancien président de la Russie. Dis-moi comment tu t'habilles.

Yannick Jadot. Les communicants du candidat écologiste à la présidentielle lui ont conseillé le port de la cravate, après lui avoir demandé de retire son jean et son bracelet brésilien.

Yannick Jadot. Les communicants du candidat écologiste à la présidentielle lui ont conseillé le port de la cravate, après lui avoir demandé de retire son jean et son bracelet brésilien.Dorian Prost

En se dirigeant le 7 mai 2017 vers la pyramide du Louvre de ce pas lent que l'on pensait réservé aux employés municipaux parisiens, Emmanuel Macron n'a pas seulement inauguré le quinquennat le plus mouvementé de la Ve République, il a aussi confirmé la vague bleue du vestiaire gouvernemental. Il avait écrit Révolution, il n'a pas bouleversé les portants. Sur ce point, il est bien sur la ligne engagée par le quinquennat sarkoziste dédié au bleu après plusieurs septennats gris et noirs.

« On s'habille tous comme le chef »

Sous Sarko, l'Intérieur avait résisté. Les auteurs de La nuit tombe deux fois (1) rapportent ce conseil de Sarkozy en juillet 2020 à son ami « Gérald » tout juste nommé place Beauvau : « Ministre de l'Intérieur, ce n'est pas bien compliqué, tu mets costume noir, cravate noire, chaussures noires. Si tu veux être original, tu mets du bleu marine foncé. » Soit Darmanin a choisi l'originalité, soit le conseil était un peu daté. « On s'habille tous comme le chef », s'amuse un conseiller ministériel. Devinez la couleur du costume dans lequel il est sanglé ? Le bleu est donc le nouveau passe-muraille et pas seulement parce qu'il va bien au teint. Surtout, il représente la France : « Même les footballeurs posent en costume bleu », remarque Catherine Nay. Elle publie des Souvenirs somptueux (2).

Le coup d'envoi est parti de loin, donné par Saint-Louis en route pour les Croisades. Ainsi démarra ce que Michel Pastoureau nomme « la révolution bleue ». En abandonnant les fourrures et habits ostentatoires de vert et d'écarlate, le roi introduit dans la culture occidentale « un nouvel ordre de couleurs, ordre sur lequel nous vivons encore partiellement aujourd'hui ». Les Français du temps de Louis XV distribuaient aux chefs indiens de Guyane un bel habit bleu gansé d'argent afin de les distinguer. Louis XVIII de retour d'exil adopta le frac bleu. Le bleu est roi.

« Louis XVIII, roi de France» (gravure de Pierre Michel Alix), en frac bleu à épaulettes dorées.

« Louis XVIII, roi de France» (gravure de Pierre Michel Alix), en frac bleu à épaulettes dorées.akg-images

C'est pourtant la couleur marron qui distingua Louis Mermaz, premier président socialiste de l'Assemblée nationale en 1981. Peut-être restera-t-il dans l'histoire de la mode comme le seul homme, voire le seul être humain, qui ne portait « que » des costumes marron. Il fut aussi celui qui supprima le port de la jaquette pour les présidents de l'Assemblée. L'armée de colliers de barbe en pantalon de velours qui débarque dans l'hémicycle en 1981 a fait « progresser son look à vue d'oeil », se souvient un conseiller d'alors. Effacé les « fashion faux pas », tels ces petits bouts de mollets exhibés entre chaussettes trop basses et pantalons trop courts. Voilà au moins un écueil que les très bourgeois Pierre Joxe et Laurent Fabius auront évité. On se souvient comment la morgue du premier s'exerça aux dépens du malheureux Pierre Bérégovoy : « Un homme qui porte de pareilles chaussettes ne peut être malhonnête. » Plus tard, Laurent Fabius compara François Hollande à « un contrôleur SNCF ». L'apprentissage du pouvoir est un combat qui se mène jusque dans les vestiaires.

Après les sans-culottes, les sans-cravates ?

À la Chambre, on ne modifie pas que le Code civil, les codes vestimentaires également. Michèle Cotta se souvient comment, jeunes journalistes à L'Express, elle et Catherine Nay, l'une en pantalon, l'autre en minijupe, se firent refuser l'accès à l'Assemblée : « Il fallut l'intervention de Chaban pour nous laisser entrer. » La même aventure arriva en 1972 à Michèle Alliot-Marie, alors jeune conseillère aux Affaires sociales. Elle n'y alla pas par quatre chemins : « Mon pantalon vous gêne ? Je l'enlève dans les plus brefs délais. » Elle avait le sens de la riposte non graduée, elle était faite pour le ministère de la Défense.

Cinquante ans plus tard, les députés Insoumis revendiqueront le débraillé, avec l'enflure qui les caractérise : « Il y a eu dans cette Assemblée des sans-culottes, il y aura désormais des sans-cravates. » « Leur chef Mélenchon, qui a passé la majorité de sa carrière en costume cravate, préfère aujourd'hui se 'déguiser en ouvrier' », tacle Catherine Nay. Si on le compare à son équivalent espagnol, catogan et boucles d'oreilles, il a beau faire, il reste classique. Même le communiste Fabien Roussel s'habille comme un directeur d'agence. En France, personne n'échappe au rituel. Dans toute la Ve, on ne recense que deux cas de vestes de couleur. Lorsque Patrick Roy, député socialiste du Nord, disparaît en 2011, Sud-Ouest titre sur la mort du « député à la veste rouge ». On est peu de choses.

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Jean-Luc Mélenchon, candidat de La France Insoumise a la présidentielle, ici dans son local de campagne, le 22 mars. Le chef des Insoumis, « sans-cravate » revendiqué à l'Assemblée, arbore cet accessoire d'un beau rouge.

Jean-Luc Mélenchon, candidat de La France Insoumise a la présidentielle, ici dans son local de campagne, le 22 mars. Le chef des Insoumis, « sans-cravate » revendiqué à l'Assemblée, arbore cet accessoire d'un beau rouge.Corentin Fohlen/ Divergence

Hors Assemblée, Michel Poniatowski portait souvent un cashmere col en V jaune, c'était une autre exception, « un gros poussin », s'amuse Catherine Nay. Yvane Jacob, auteur de Sapé comme jadis, déplore « une uniformisation délirante ». Aujourd'hui, même si, depuis 2017, cravates et vestes sont rendues facultatives au palais Bourbon, la quasi-totalité des députés continue à les porter. Son président Richard Ferrand arbore même un désuet trois pièces. Bernard Cazeneuve, autre adepte, y ajoute une pochette. La recherche du détail lui donne un petit air de Balladur de gauche.

« Trop France d'en haut »

La police politique traque le goût de luxe. Lorsque le nom de Christine Lagarde fut évoqué comme éventuelle Première ministre d'un second quinquennat Macron, son allure, chiquissime, fut portée à son débit par certains proches du président, la jugeant « trop France d'en haut ». L'entourage de Macron au début de son quinquennat ne se faisait donc pas prier pour dévoiler le faiseur peu coûteux des costumes présidentiels. Chez Jonas, on en trouve à moins de 400 euros, ils s'y sont tous précipités.

Les Rolex de Nicolas Sarkozy lui ont sans doute coûté politiquement bien plus cher que leur prix affiché. Les années 1970 étaient plus indulgentes. Personne n'a jamais reproché à Simone Veil ses tailleurs Chanel. Au contraire. Leur image tranquille et confortable rassurait sur la femme qui allait sans trembler révolutionner la vie de ses semblables. « Chez elle, la constance de son habillement participe à la construction de son image », résume Sophie Lemahieu, auteur de S'habiller en politique.

«Napoléon, premier consul», tableau anonyme, vers 1800. Bonaparte porte alors le costume en velours de soie rouge caractéristique de la fonction.

«Napoléon, premier consul», tableau anonyme, vers 1800. Bonaparte porte alors le costume en velours de soie rouge caractéristique de la fonction.akg-images

Françoise Giroud, secrétaire d'Etat à la Condition féminine, en revanche, n'échappa pas à l'ire journalistique. Dans Le Quotidien de Paris, Geneviève Dormann l'apostrophe à propos de ses robes Hermès : « Quand on porte un jupon qui vaut le salaire d'un cadre très supérieur et qu'on se chausse au moins avec un Smic, on se tait. » N'empêche, le mieux habillé de son septennat, c'était Giscard lui-même. Il avait ça dans le sang. Dans ses Croquis de mémoire, Jean Cau écrit : « Je m'assieds, il s'assied. Il croise ses longues jambes dans le bon tissu. » Tout est dit. Jamais d'erreur. Mention très bien, comme on disait à la défunte Primaire populaire. Parfumé à L'Eau Impériale de Guerlain, VGE faisait très attention à sa mise, cravates Hilditch and Key, Lobb ou Weston aux pieds. Il était grand, son majordome plutôt petit. Celui-ci grimpait sur un escabeau pour l'ultime coup de pouce au tombé de la veste présidentielle.

Fabien Roussel, candidat du parti communiste à la présidentielle, dont le dress code n'a rien de révolutionnaire.

Fabien Roussel, candidat du parti communiste à la présidentielle, dont le dress code n'a rien de révolutionnaire.Dorian Prost

À son arrivée à l'Elysée, François Mitterrand était habillé comme « l'as de pique » , se souvient Michèle Cotta. « L'amant de Lady Chatterley », renchérit Catherine Nay. Les tailleurs Cifonelli (6.000 euros le costume) et Marcel Lassance y remédieront après 1981. Mais le Premier secrétaire avait déjà un « look ». Soulignant le goût mitterrandien pour « la ténèbre vestimentaire », Jean Cau le décrit tel un « Nosferatu auguste et sombre », évoque « son personnage au lavis noir coiffé du feutre à ailes noires, écharpe noire autour du cou ». Ce combo écharpe-chapeau est indissociable de l'image du président socialiste, tel le t-shirt kaki à celle de Volodymyr Zelensky ou la veste bleue de travailleur à Mao. Celle-ci était en elle-même un symbole. Ses quatre poches figuraient les quatre principes cardinaux : l'honnêteté, la justice, la propriété et l'humilité. C'était en effet tout lui.

En l'absence de vraies différences, l'attention pourra se porter sur l'accessoire. Le sac de Margaret Thatcher terrorisait ses ministres, qui se demandaient lequel de ses fameux petits mémos elle allait en sortir. Plus tard, il sera adjugé 28.000 euros. Qui oubliera les chaussettes rouges de Balladur ou François Fillon achetées (enfin, on l'espère) chez Gammarelli ? Fillon, c'est le moral qu'il doit avoir dans les chaussettes.

John Fitzgerald Kennedy à Hyannis Port, dans les années 1960, portant ses Wayfarer.

John Fitzgerald Kennedy à Hyannis Port, dans les années 1960, portant ses Wayfarer.J.F.K. LIBRARY/SIPA

Les lunettes ont eu longtemps mauvaise réputation. Jamais Napoléon ne portait en public ses verres de myope. Roosevelt fut le premier myope officiel. Vinrent ensuite les Ray-Ban Wayfarer de John Fitzgerald Kennedy. Dans la Chine maoïste, tout porteur de bésicles était pourchassé comme intellectuel. Apparues sur le nez d'Eric Zemmour, elles lui ont tout à coup donné l'air plus sérieux. Il faut se méfier des apparences. De quoi se souviendra-t-on d'Eva Joly, à part ses lunettes rouges ? Et encore ! Le choix de l'accessoire est-il une question accessoire ? La cravate est-elle le noeud de la présidentielle comme se le demande Le Point après « l'affaire Jadot » ?

Terrain miné

Pas forcément, mais le terrain est miné. Bruno Le Maire en a sans doute un souvenir cuisant. Il est l'un des mieux habillés du gouvernement, toujours impeccablement mis, costume, plutôt du gris, des Weston bien cirées et, bien sûr, une cravate. La seule fois où il en fit l'impasse, lors de la primaire de la présidentielle 2017, public et médias n'ont parlé que de ça, mettant aux oubliettes ses 1.000 pages de projet. C'est rageant. En tout état de cause, la tenue correcte reste un minimum exigé.

Après « l'affaire Jadot », Paris Match posa « la » question : « Imagine-t-on le général sans cravate ? » La réponse est non. Selon Denis Tillinac, dans son Dictionnaire amoureux du Général (Plon), l'amiral Philippe de Gaulle a confié n'avoir vu que deux fois son père sans complet-cravate ou sans son uniforme militaire : sur une plage du Nord en costume de bain et en pyjama sur un lit de l'hôpital Cochin après son opération de la prostate. Le Général boussole de mode, on aura tout vu. En tout cas, il ne plaisantait pas avec la blancheur de ses chemises. Il les achetait chez Charvet et renouvelait leur col amovible six fois par jour.

«Imagine-t-on le général sans cravate ? » interrogeait «Paris Match». Ci-dessus: portrait de Charles de Gaulle par Roger Chapelain-Midy (1980), commandé par Valéry Giscard d'Estaing pour le palais de l'Elysée.

«Imagine-t-on le général sans cravate ? » interrogeait «Paris Match». Ci-dessus: portrait de Charles de Gaulle par Roger Chapelain-Midy (1980), commandé par Valéry Giscard d'Estaing pour le palais de l'Elysée.Photo Josse/Bridgeman Images

 Les débats sur le sens du poil sont séculaires. On connaît son Molière : « Du côté de la barbe est la toute-puissance. » Les rois francs de l'époque mérovingienne n'avaient plus le droit de régner s'ils coupaient leurs cheveux. Sainte Clotilde, épouse de Clovis, a préféré que l'on tue ses petits-enfants plutôt que les voir tondre. Napoléon, qui voulait tout classer, codifia jusqu'à la coiffure de ses ministres : « Ronds ou longs et, en ce cas, frisés jusqu'au bout et rattachés au milieu par un simple ruban noir ».

Barbe, bouc, moustaches ou «lissitude»

Depuis le XIXe, rois, présidents, ministres, tous portaient barbe, bouc ou moustaches. Seuls les Poilus durent se raser pour enfiler leur masque à gaz. Ensuite, avec les seventies, l'ère de la « lissitude » précéda celle du poil de trois jours qui envahit les joues de la start-up nation. Edouard Philippe est le premier chef de gouvernement barbu depuis Paul Ramadier en 1947. Sa barbe bicolore est aussi originale que le sont ses boutons de manchette.

Emmanuel Macron, habituellement glabre, utilise sa barbe comme message. Lorsqu'il est cool, en vacances, ou, à l'inverse, chef de guerre, « sweat à capuche, traits creusés et barbe de trois jours », tel que le décrit L'Opinion, pendant ses discussions marathon avec cinq chefs d'Etat le week-end du 20 février. Jusqu'où peut-on modifier son aspect physique ? François Mitterrand n'a pas réduit que le temps de travail. Jean Cau évoque « ses canines limées », sans doute, afin que l'on oublie « comment cet homme a déchiré ses proies ».

Valérie Pécresse, candidate LR à la présidentielle, pose pour un portrait en janvier dernier. Comme pour beaucoup de femmes politiques, la veste de tailleur est de rigueur.

Valérie Pécresse, candidate LR à la présidentielle, pose pour un portrait en janvier dernier. Comme pour beaucoup de femmes politiques, la veste de tailleur est de rigueur.Antoine Doyen/Contour by Getty Images

Si le terrain du vestiaire est difficile pour les hommes, il est pour les femmes un champ de mines. « Elles sont en permanence soupçonnées de détourner l'attention de leur propos par le biais de leurs vêtements et la mise en valeur de leur corps », écrit Sophie Lemahieu. Lors de la campagne des européennes de 2004, Roselyne Bachelot a compilé tous les articles de presse parus à son sujet : « Ils commençaient par la description de mes toilettes. Tous ». Edith Cresson raconte : « Les photographes se couchaient par terre pour photographier mes collants prétendument filés. » En fait de filage, celle qui reste à ce jour la seule femme Premier ministre de France avait une cicatrice au genou. Cette hantise du collant qui file, comme de la vue en contre-plongée lorsque l'oratrice est perchée sur une estrade, ce souci surtout d'être écoutée plus que regardée, les ont pour la plupart conduites à l'adoption de l'uniforme tailleur-pantalon.

La veste rouge, tenue de «warrior»

Ne leur reste qu'à jouer sur la couleur des vestes. Le rouge, c'est leur tenue « warrior ». Valérie Pécresse l'utilise beaucoup, ainsi lorsqu'elle monta à l'assaut des primaires, ou affronta Eric Zemmour en débat. Il faut dire qu'elle s'était jadis mordu les doigts de son excès de discrétion. Lorsque Nicolas Sarkozy, pour une visite officielle à Elizabeth II, embarqua dans sa suite Nathalie Kosciusko-Morizet, Rachida Dati et leurs stilettos, laissant Valérie à Paris, celle-ci, raconte Le Monde, s'agaça : « Evidemment, moi je ne suis pas sponsorisée par Dior. » Valérie, il ne faut pas lui marcher sur les mocassins. Le Canard enchaîné l'a vengée en surnommant Rachida « la garde des sceaux à champagne ». Le message est-il dans le corsage ? Le jean blanc de Marine Le Pen a-t-il participé à sa dédiabolisation ? Marion Maréchal était en rose pour officialiser son ralliement au bourreau de sa tante. Peut-être s'agissait-il de souligner les valeurs féminines qu'elle allait lui apporter.

La reine Elizabeth II affectionne les couleurs vives et les chapeaux. Elle en aurait porté plus de 5.000 depuis le début de son règne.

La reine Elizabeth II affectionne les couleurs vives et les chapeaux. Elle en aurait porté plus de 5.000 depuis le début de son règne.AP Illustration/AP/SIPA

Angela Merkel se foutait bien de sa tenue : « J'ai été élue pour servir le peuple allemand, pas pour être mannequin. » Un pantalon, un collier ras-du-cou, des mocassins plats, et basta ! Pour le haut, elle a trouvé un jour son bonheur dans un magasin de Hambourg, lui a acheté des dizaines de vestes du même modèle et de toutes les couleurs, raconte Marion Van Renterghem son excellente biographe. Ainsi, Mutti ne perdait pas de temps à choisir sa tenue.

Obama, look «Brooks Brothers»

Merkel, Obama, même combat : « J'ai trop d'autres décisions à prendre », disait l'ex-président des Etats-Unis. Pour les mêmes raisons, Steve Jobs avait choisi son col roulé Issey Miyake. Pour Barack ce sera donc costume sombre, chemise blanche, cravate noire. Le jour où il tenta un costume crème, l'Amérique se déchira sur ce « suit drama ». Il retrouva vite la ligne de ce que les Gaulme nomment « l'allure Brooks Brothers », ce look que le monde entier aima idolâtrer avec JFK : « Pour la première fois depuis Louis XV, séduction et pouvoir se confondaient. » Cette simplicité rappellerait le costume noir des pères fondateurs de la nation, Washington, Jefferson et Adams, alors que les dirigeants européens étalaient encore leurs dorures : « Les fonctionnaires publics aux Etats-Unis restent confondus au milieu de la foule des citoyens. Ils n'ont ni palais, ni gardes, ni costumes d'apparat », notait Tocqueville.

La décolonisation fit aussi son ouvrage : « Finis les uniformes diplomatiques brodés que les jeunes nations ne peuvent pas s'offrir, ils sont remplacés par de simples costumes de ville. » Certains pays se réinventent une tenue traditionnelle. Toque léopard, foulard : Mobutu appelle la sienne « abacost » comme « à bas le costume ». Dire « à bas le costume », c'est dire à bas les colonisateurs. Bien sûr que le vêtement est politique.

(1) Corinne Lhaïk et Eric Mandonnet. Fayard.

(2) « Tu le sais bien le temps passe, Souvenirs, souvenirs 2 ». Bouquins.

Les chapeaux d'Elizabeth II

Son diadème, Elizabeth II ne le porte qu'à partir de 18 heures (pour un banquet ou un dîner d'Etat). Il lui fallait donc trouver le fameux « élément différenciant » qui signale les grands. Tel le bicorne de Napoléon, celui de la reine sera son chapeau. Paille, laine, pétales ou plumes (celles de l'oiseau de Paradis sont désormais interdites), elle en aurait porté plus de 5.000 au cours de ses soixante-dix ans de règne, en aurait encore près de 500 dans son dressing. La reine est économe, réutilise ses coiffes au prix de petits aménagements, révèle Thomas Pernette, auteur du très beau Les Chapeaux de la couronne. Modiste de la reine, un poste clé pour une cliente charmante : « Elle était très simple. Parfois, elle me quittait brusquement pour aller voir courir un de ses chevaux à la télévision. » Les galops de la reine.

La tenue dépouillée du pape François

On n'imaginerait pas le pape François en icône de mode. Et pourtant… C'est bien lui qu'en 2013 le magazine Esquire élut « L'homme le mieux habillé de l'année ». Selon Le Temps, l'austère site Catholic.org le voit même carrément comme un « trendsetter ». Les voies du Seigneur sont impénétrables. Bien sûr, le chic réside dans la simplicité, mais si le Saint-Père a dépouillé sa tenue, il l'a fait moins dans un souci de mode que de cette « humilité » dont il a fait la marque de son pontificat. Ainsi naquit donc ce « papal athleisure », dont disparaissent à la fois les bijoux précieux et la fameuse mozette, cette petite cape rouge bordée d'hermine. De surcroît, les tissus plus roturiers que sont le lin et le coton sont préférés à la soie. Ainsi soie-t-il.

Les boutons de manchette d'Edouard Philippe

Le bleu de ses costumes ne peut être le seul horizon d'Edouard Philippe. Certains politiques, pour se rappeler à notre souvenir, utilisent la technique dite de la carte postale : « Coucou, c'est moi ! » Encore plus original, raccord avec l'humour « philippien », lui-même pratique celle des boutons de manchette : « On se demandait lesquels il allait choisir dans sa centaine de paires », s'amuse un conseiller. Le jour de son départ du gouvernement - vive les vacances ? -, il opta pour des tongs. Bien trouvés les extincteurs lors d'une polémique néo-calédonienne, les raquettes de ping-pong pour aborder une négociation syndicale ou les casques de chantier « spécial gilets jaunes ». Pour les prochains, des gants de boxe ?

À lire

« Les Habits du pouvoir, une histoire politique du vêtement masculin », de Dominique et François Gaulme. Une véritable oeuvre d'art grâce à son iconographie époustouflante, du frac de Brummel au renversant prince-de-galles bleu de Reagan au G7 de Versailles. Flammarion, 278 p., 60 euros.

« Sapé comme jadis », d'Yvane Jacob, Soixante portraits aussi drôles, informés et acérés que ses posts sur Instagram, ce livre est un régal. Apprenez-y entre autres pourquoi Catherine de Médicis n'a pas réussi à imposer la culotte, ou pourquoi Castro portait une barbe et deux Rolex, ou pourquoi Socrate était tout nu sous son manteau. Robert Laffont, 178 p., 22 euros.

« S'habiller en politique.Les vêtements des femmes au pouvoir. 1936-2022 », de Sophie Lemahieu. Pour les femmes, le sujet des habits du pouvoir a mis du temps avant de se poser. Jusque dans les années 1970, on les compte sur les doigts de la main, mais leur problème reste le même : être considérées pour leur action politique et pas pour leur robe à fleurs ou à carreaux, depuis Germaine Poinso-Chapuis devenue en 1947 la première femme ministre de plein exercice, qui disait que son ministère (la Santé) lui donnait moins de souci que les photographes ! L'auteure, enseignante à l'Ecole du Louvre, le montre avec finesse, humour et érudition. MAD/Ecole du Louvre, 150 p., 35 euros.

Sabine Delanglade

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