BFM Business
Transports

La quasi-gratuité dans les métros, trams mais aussi trains est-elle une bonne idée?

Pour inciter à utiliser les transports publics plutôt que leur voiture, certains pays comme l'Autriche ou le Luxembourg ont lancé des cartes annuelles à bas prix permettant de prendre métros, trams et trains de manière illimitée.

Inciter à prendre les transports en commun plutôt que la voiture est désormais l'objectif de tous les gouvernements afin de réduire l'empreinte carbone des automobiles.

Pour y arriver, plusieurs moyens existent: renforcer l'offre, développer les matériels verts et évidemment jouer sur les tarifs. Certaines villes en France (50 à l’horizon 2026) misent sur la gratuité (globale ou soumise à critères). Mais des pays entiers appliquent eux une quasi-gratuité à grande échelle.

C'est le cas du Luxembourg, de la Suisse qui tente de le mettre en place, ou encore de l'Autriche qui a lancé en fin d'année dernière le "Klimaticket". Présenté par le gouvernement écologiste comme "une révolution", cette carte doit être un levier pour que le pays atteigne la neutralité carbone en 2040.

Des conditions à remplir

Le principe est simple: vendue 1095 euros pour un an (soit environ 3 euros par jour), elle permet d’accéder à tous les trains (nationaux), bus, trams et métros (à Vienne) du pays, à volonté. Que les opérateurs soient publics ou privés.

Outre l'argument prix, l'Autriche met en avant la praticité de cette offre. "On n'a plus besoin de se poser la question: comment vais-je acheter mon billet? Est-ce que je peux l’acheter dans le bus ou est-ce que je dois l’acheter avant de monter à bord?", explique Leonore Gewessler, ministre de l’Environnement.

Le Klimaticket autrichien
Le Klimaticket autrichien © DR

Le succès semble au rendez-vous puisque depuis novembre dernier, 130.000 cartes ont été vendues (le pays compte 8 millions d'habitants).

Evidemment, cette approche nécessite de compenser la perte en recettes des opérateurs de transports publics et privés. Vienne prévoit ainsi d'investir au moins 150 millions d'euros par an pour dédommager ces acteurs.

Autre condition à la réussite de cette offre, le réseau. Là encore, l'Autriche ne fait pas les choses à moitié avec un investissement en infrastructures ferroviaires de 2 milliards d'euros afin de mieux rapprocher les zones rurales.

"Fausse bonne idée"

Reste que cette approche divise. Est-elle vraiment efficace et n'est-elle pas un risque pour le financement indispensable des réseaux? Pour Arnaud Aymé, spécialiste Transports pour le cabinet Sia Conseil, "c'est une fausse bonne idée".

"Il est encore trop tôt pour tirer un bilan ou un retour d'expérience de ces offres à grande échelle mais je suis assez circonspect, souffle-t-il à BFM Business. Quels sont les objectifs que l'on se donne sinon gagner la prochaine élection?"

"La question est de savoir à quoi répond la gratuité. Est-ce que c'est à cause des prix que les gens ne prennent pas le train? Etant donné qu'il est fortement subventionné par les Etats, les régions ou les collectivités et qu'il existe des aides pour les foyers modestes, je ne pense pas que ce soit cette raison qui soit un frein", explique-t-il.

En réalité, dans la plupart des cas, si les gens ne prennent pas le train, c'est parce qu'il n'est pas accessible. Petites lignes et petites gares ont été fermées dans de nombreux réseaux européens, obligeant de fait les utilisateurs à se retourner vers leurs voitures.

"La baisse de prix ne change pas cette donne, confirme Arnaud Aymé. Et si le prix est un obstacle, la gratuité ou quasi-gratuité a du sens mais de manière ciblée".

Assèchement du financement public

Pire, cette approche serait contre-productive car "elle assèche le financement public qui sera dédié à la compensation des opérateurs" plutôt qu'aux dépenses dans les réseaux, notamment secondaires, de dessertes fines, justement indispensables pour recréer la possibilité de prendre le train.

"On risque la paupérisation des transports publics alors qu'il faut 'plus de tout' pour baisser le poids de la voiture", estime le spécialiste. D'autant plus que les coûts peuvent augmenter à cause d’une forte hausse de la fréquentation tout en réduisant les ressources disponibles par la suppression des recettes tarifaires.

Pour autant, dans le cas de la Suisse, du Luxembourg ou de l'Autriche, c'est justement la puissance, la performance et la finesse du réseau qui permettent de mettre en place ces offres. Et la petite taille géographique de ces pays.

Suisse, Autriche: des pays où le train est déjà très puissant

"Il y a un maillage très fin, une vraie cohérence à tous les niveaux entre les acteurs, les opérateurs, les autorités", nous rappelle Bruno Gazeau, président de la Fnaut, la fédération nationale des associations des usagers des transports.

"C'est la condition première. Ces cartes répondent à la question de la tarification mais la perfomance des transports publics prime. Ca ne doit pas se faire au détriment des investissements", renchérit Valentin Desfontaines, responsable Mobilités durables du Réseau Action Climat France.

Autre caractéristique forte, l'appétence forte pour le train. "En Suisse qui est un vrai modèle de marché ferroviaire, le taux d'utilisation des trains est 4 à 5 fois supérieure qu'en France. Donc il n'y pas de risques de paupérisation des transports publics", ajoute l'expert.

Pourrait-on voir une telle offre en France? Aucune des conditions ne semble réunie tant en termes d'usage (10% des déplacements globaux) et de réseau et encore moins d'organisation "où les régions qui exploitent les TER appliquent leurs tarifs, leurs investissements sans vraiment parler avec leurs voisines" souligne Bruno Gazeau. "Il y a des cartes partout, au niveau national, régional...il faudrait de la cohérence et ce n'est pas le cas".

Des résultats encore difficiles à évaluer

"Le premier enjeu, c'est développer l'offre. C'est le levier principal pour augmenter le trafic", ajoute Valentin Desfontaines. "On ne défend pas la gratuité mais plutôt une tarification sociale, un modèle plus équitable. Les offres forfaitaires doivent être ciblées et cohérentes socialement".

Enfin, quid des résultats écologiques de telles mesures qui sont l'objectif premier de ces mesures. La gratuité, la quasi-gratuité des transports publics permet-elle vraiment un report modal de la voiture vers les transports propres?

Difficile à dire pour le moment. "Séduisante et possible en théorie, une approche calculant l’ensemble des effets de la gratuité en CO2 est plus complexe dans les faits puisque la gratuité vient souvent se combiner avec d’autres mesures, notamment d’amélioration du réseau. Si les effets directs de la gratuité des transports collectifs en faveur de l’écologie semblent discutables, l’Observatoire des villes du transport gratuit propose d’en identifier d’autres, indirects et mesurables à plus long terme. Car c’est sous cette optique que la gratuité présente l’intérêt écologique le plus probable", analyse la Fondation Jean Jaurès.

"En tant que construction politique et sociale, la dimension écologique de la gratuité des transports ne peut être évaluée à court terme, ni uniquement sous le prisme de la tarification", poursuit-elle.

Cartes de transports quasi-gratuites, comment ça marche?

>>> Klimaticket (Autriche)
-Prix: 1095 euros par an (821 euros pour les jeunes et les seniors)
-Transports couverts: trains, bus, trams des transports publics et privés

>>> Mobilité Gratuite (Luxembourg)
-Prix: 75 euros par mois ou 660 euros par an (s’applique à tous les usagers, qu’ils soient résidents, travailleurs transfrontaliers ou touristes)
-Transports couverts: tramways, trains ou bus

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business