Sabato 14 maio

Sveglia intontita. Dernier véritable réveil turinois, puisqu’ayant eu la merveilleuse idée de booker un train le lendemain 7h36, et d’amorcer l’idée d’une nuit blanche, dont j’ignorais encore qu’elle aurait le goût amer. Déni quand tu nous tiens.

Le coeur serré, et triste à l’idée de quitter cette bulle eurovisionesque dans laquelle je m’épanouis depuis une semaine passée si vite, je boucle ma valise et prend une dernière fois le métro aller, direction la ville centre, encore ensoleillée alors que l’orage s’annonce pile dès 19-20h (comme le JT de France 3).

Alors que Régine et les alsaciens campent depuis la première heure devant l’hôtel de The Rasmus pour dénicher photos et autographes (mission finalement réussie grâce à la voie ouverte par Manu la veille), je me dirige de mon côté chez Biraghi – où je suis désormais quasi aussi connu que le loup jaune – pour récupérer ma commande de CD Eurovision. Décidément, il n’y a que dans cette boutique que j’ai étrangement du mal à pratiquer mon italien … Le charmant vendeur file au sous-sol récupérer la dite commande, et là c’est le drame : si l’édition 2012 est bel et bien arrivée à bon port (uffa), Moscou 2009, elle, reste désespérément introuvable. Le bel italien et sa collègue insistent et, comme Axelle Red en son temps, ils ont beau cherché, ils ne trouvent pas. Échec. Tant pis pour Malena Ermann, Patricia Kaas et Sakis Rouvas, ils ne figureront pas sur la playlist de ma Twingo 2006 (sans le frein à main évidemment). Nous tapons toutefois la discute avec le vendeur, qui m’apprend que la fille et lui étaient présents au Jury Show de la veille ! Et coup de poignard dans le coeur : il n’aime pas la chanson française. Aie aie aie aie aie aie aie, che casino.

Comme le temps passe encore plus vite le dernier jour, je profite du soleil turinois pour m’embarquer dans l’une des institutions de la ville : le marché de la Porta Palazzo. Situé sur la Plazza della Republica, il offre aussi bien aux visiteurs une panoplie d’échoppes dignes de la saloperia mais, surtout et avant tout, de magnifiques étals de légumes aux couleurs rouges et, surtout, un marché couvert rempli de délicieuses spécialités à déguster et à ramener en France (ce que j’aurais fait si la température du jour me l’avait permis). Pecorino al pepe, parmiggiano, mortadella al truffo, … Il est de fuir avant que je ne dévalise les étals, le temps que, marinière et drapeau tricolore sur les épaules, je me fasse interviewer par la RAI radio sur mes titres favoris de l’édition 2022, et de performer une nouvelle fois sur In Corpore Sano sous les regards ébahis des passants.

Car en parlant d’interviews, vous souvenez-vous de l’épisode 5, où Régine et moi nous faisions interviewer par ce que l’on pensait être la télévision italienne ? Et bien rendez-vous sur France 2, option Télématin, samedi 14 mai 2022, 2h33 et 52 minutes. Tant qu’à faire, autant faire d’une pierre deux coups avec ce passage éclair sur BFM TV à midi le même jour (pendant la rencontre des eurofans, filmée par la presse). Hashtag le ridicule ne tue pas, et ridicule ne meurt jamais.

Alors que je partais déjeuner sous une chaleur de plomb, une foule massée devant l’hôtel NH San Stefano me surprend. Avis aux eurostars me dit à l’oreille Pif mon nez, et bingo, puisque nos valeureux attendent la sortie de … Maneskin ! Ni une, ni deux, je me mêle à l’assemblée et attend, attend, attend … puis attend, attend, attend … et encore attend, attend, attend … Toujours rien ni personne plus d’une heure après (si ce n’est les silhouettes du groupe, que j’ai aperçu en collant ma tête aux vitrines du restaurant de l’hôtel) : je déclare forfait. Au contraire d’une petite fille qui, avec un certain aplomb, toque à la porte de l’hôtel et gagne le droit d’y entrer … avant d’en ressortir deux-trois minutes plus tard. A t-elle eu droit à sa rencontre privilégiée avec les tenants du titre ?Je ne le saurai jamais mais, voyant la tête de la mère, je pense que la réponse est négative.

15h30. Spaghetti cacio, pepe e cozze en terrasse, le stress monte peu à peu. La grande échéance approche à aussi grands pas, et je dois rejoindre l’équipe à 16h30. Sono in ritardo ! En plus je n’ai même pas fait mes achats. Le temps de déguster mon dernier plat de pâtes turinois, je file acheter mes tee-shirts à l’effigie des personnages des films de Tarantino et de Frida Kahlo, m’enfile une dernière glace chez Antonietti et ”cours” à l’Eurovillage, où mes nouveaux amis viennent de rentrer. Il n’est que 17 heures, la perspective de l’orage annoncé semble s’éloigner et, pourtant, la douche sera beaucoup plus froide que je ne le pensais.

Arrivé à l’Eurovillage, c’est en effet une queue longue de plusieurs dizaines de mètres qui m’attend. Grand prince – à moins que je ne fus grand con, j’évite soigneusement de me faufiler dans la masse compacte située juste devant le checkpoint (comme le font beaucoup) et je prends gentiment ma place dans la longue file, que je crois voir avancer au début. Au fur et à mesure de l’avancée des longues minutes, puis des heures, je vois la situation stagne, et mon droit automatique d’entrée s’éloigner, d’autant plus qu’énormément de malins se faufilent sur les côtés. Tandis que sur l’écran, la jauge ne cesse de diminuer, jusqu’à atteindre le cap fatidique des 1 000 places restantes, alors qu’il me reste environ 1 000 bornes à parcourir. Au diable la morale, à mon tour de tenter la remontada et, tel un taurillo, de me faufiler sur les côtés pour m’approche des points de contrôle, qui me tendent désormais les bras, à juste une dizaine de rangs de moi. Il est alors 19 heures, et j’ai d’ores et déjà conseillé à mes collègues de rejoindre un emplacement sur la lointaine pelouse, auquel je les rejoindrais une fois mon combat terminé. C’est alors que l’eurodrama du séjour se produisit.

Sous les huées de la foule, l’organisation tire les rideaux et annonce la fermeture de l’Eurovillage pour cause de jauge atteinte. Deux heures avant le début du show, alors que je faisais la queue depuis deux heures, et que nous sommes des milliers d’eurofans à attendre. Qu’une jauge soit déterminée, soit, la sécurité l’emporte. Mais comment diable ne pas avoir anticipé un espace capable d’accueillir la masse des eurofans attendus, alors que depuis l’intérieur, on me signale que les spectateurs sont loin de se marcher dessus. Presque au bout, je me décide à rendre mon mal en patience, croisant les doigts pour une éventuelle réouverture des rideaux d’ici 20 heures – les dés-organisateurs nous annonçant la possibilité d’une entrée ultérieure. 20 heures. L’Eurovillage est plus ou moins définitivement fermé. Je craque. Mais l’espoir n’a rien de noir.

Entretemps – infos que j’ai eu le plus grand mal à obtenir faute de 4G suffisante, je me rends compte que la majorité des français – et des nombreuses autres nations, se sont également vu refuser le droit d’accès à l’Eurovillage, décidément très mal foutu avec ses deux allées de stands inutiles et ternes, sa grande pelouse accessible par un long détour et ses pelouses secondaires désormais fermées depuis jeudi. Une partie des français a trouvé refuge dans un bar non loin du Parco, aux côtés d’espagnols, de britanniques, de belges et d’italiens. Je les rejoins. Je ne regarderai donc pas l’Eurovision tout seul. Mieux : pour la première fois, je la vivrai avec les miens, alias les eurofans, l’occasion de nouvelles rencontres. Peu importe l’Eurovillage, même si cela m’ennuie profondément d’y abandonner ma bande turinoise (qui m’assaillit d’appels et de messages de réconfort), que je retrouverai évidemment après. Un tour au bar, un Spritz, le boule parterre et place aux images de l’Eurovision 2015 en guise d’apéro. Pas d’amertume donc, mais la confirmation du constat initial : l’organizzazione all’ italiana, è zero punti.

21h. Le Te Deum. Les cris. La joie. Le coeur qui bat. Trois … deux … un … May The Eurovision Song Contest 2022 begiiiiiiin !

Je me ferai le plus concis du monde s’agissant de la soirée, dont j’ai révélé l’essentiel des détails dans le matinal article du jour où la rédaction vous raconte son Eurovision 2022 vue du canapé (ou de la terrasse). Je m’en tiendrais à quelques moments clés, en 12 points :

  • Les successives pannes de chargement pendant les prestations portugaises et … française, ce qui nous coupe un peu la chique sans pour autant que nous ne renoncions, force est celle du La la la le lo. Merci à toi, Guillaume, d’avoir toutefois pris le lead de la télévision et de nous avoir sauvé la mise pour le reste d’un programme que nous avons pu apprécier en entier par la suite !
  • L’intense communion italienne au moment où Mahmood et Blanco montent sur la scène du Pala Alpitour pour une vibrante prestation de l’incontournable Brividi, que les italiens chantent par coeur et avec coeur, casés sur trottoir, pizza à la main
  • La folie furieuse des espagnols venus en masse soutenir Chanel, possible gagnante en puissance du concours 2022 avec sa performance de feu sur le désormais eurotube qu’est SloMo (quand on pense que certains lui avaient promis le fan fail, à commencer par moi-même)
  • Le cute guy britannique, décidé à obtenir par tous les moyens les votes de l’assemblée pour le numéro #22, qui se lance dans un strip tease (pas intégral, même si on a eu droit au jockstrap à la fin) et une chorégraphie de l’espace sur ses barres de pole dance d’échafaudages
  • L’enthousiasme pour le roumain et surtout l’enjaillement moldave filmé par la patronne du bar … elle-même moldave. Hey ho! Let’s go Folklore și Rock’n’roll Pleacă trenu l! Unde esti ? Chișinău – București… Ma détestation de Zbod si Zdub dépasse désormais le seuil de mes simples viscères.
  • L’effet Winner Vibe de Cornelia Jakobs, qui livre une somptueuse et superbe prestation digne d’offrir à la Suède la possibilité d’égaler le record de l’Irlande
  • Biti Sdrava. Tout simplement.
  • L’oubli hélas trop rapide de la République Tchèque, sacrifiée de l’ordre de passage, et le passage inaperçu du pourtant incroyable Ochman, certes too much, mais l’une des plus grandes voix de l’édition, elle aussi sacrifiée d’une deuxième moitié de tableau très mal organisée. Pourquoi une telle succession 21-22-23 chez les voix masculines, alors que l’Australie aurait facilement été relégable dans le ventre mou ?

  • Mon attente aux water … et mon abandon immédiat lorsque j’ai compris qu’allaient démarrer les votes des jurys, que nous essayons d’anticiper les uns après les autres, et le carton du trio Royaume-Uni, Suède, Espagne, qui me fait largement plaisir et me donne plus que jamais espoir, même si la distance avec Kalush reste somme toute limitée
  • Le sanglant télévote. Je m’attendais à ce qu’Australie, Azerbaïdjan, Suisse et Belgique, très soutenus par les jurys, y laissent des plumes. Mais de là à compter leurs points de télévote sur les doigts d’un seule main, voire d’un moignon, je suis scandalisé, tout comme la deuxième place accordée par le public aux moldaves. Mais ouf pour Konstrakta, dont j’avais anticipé le carton. May I have a soap please ?
  • Le sourire et le frottage de mains d’Ale au moment d’annoncer le stratosphérique télévote en faveur de l’Ukraine, et l’amertume qui a immédiatement suivi à la compréhension d’une victoire désormais assurée et plus qu’assurée, contre laquelle personne ni rien n’aurait pu, fût-ce le meilleur titre du monde qui aurait été en face.
  • La France. K’hor, k’hor, k’hor … Alexis et les filles, free hug pour vous, les chouchous.

Amer, en colère, je ne laisse pas à nos représentants ukrainiens le temps de rejoindre la scène et quitte instantanément le bar, abandonnant par la même occasion mon drapeau français par accident. Tel un symbole de l’échec tricolore, qui résonne en nous comme une claque que nous n’attendions pas – moi qui me disais qu’une quinzième place nous satisferait … – et surtout une claque injuste. Que je n’indique même pas dans mes douze points tellement j’en suis consterné. Pour le reste … Il va falloir digérer. Ce samedi 14 mai 2022, conformément aux attentes et dans la lignée de ce qui était écrit, la géopolitique a triomphé de l’Eurovision. Voici la réaction à vif. Et globalement partagée sur place.

Domenico 15 maio

1h du matin. Dernier rendez-vous chez Pablo, au RocKitchen. Dernières retrouvailles autour du Spritz et d’assiettes de viande. Je tape la discute avec des polonais qui appréciaient Fulenn. Instants précieux avec mes francophones, avec lesquels nous partageons une dernière soirée, jusqu’à quatre heures passées. Comme s’il était impossible de se quitter.

5h. Me voilà à Collegno. Fin de la valise. Interdiction de dormir, car train à 7h36 à Porta Nuova. Vingt minutes d’assoupissement. Réveil angoissant en pensant aux 28 fois douze points de l’Ukraine sur 39 possibles.

7h. Départ pour la gare. Je retrouve là bas Fred et Christopher d’EFR 12, Sébastien de Télé Loisirs (qui partage mon wagon), Jean-Michel, notre fidèle lecteur, Manu, mon ami belge.

12h45 environ. Arrivée à Paris.

Voilà c’est fini.

Semaine du 16 maile mot de la fin

Déprime post-eurovisionesque et pas que.

Jusqu’à la semaine précédente, je n’avais pas décidé. Jusqu’au moment où j’ai pris le taureau par les cornes. En dix minutes, Airbnb et billet de train direction Turin, l’Eurovision. Pour la première fois, j’allais enfin vivre mon rêve de l’intérieur, et f*** l’accréditation physique qu’aucun média eurofan n’a eu – l’UER ne tenait-elle visiblement pas à notre présence ?

Si mon rêve s’est d’ailleurs couvert du carré or, je le dois aussi à un eurofan (et aussi lecteur), qui n’a hélas pas pu se rendre à Turin, et m’a revendu ses places. Romain, grazie mile mile mile mile …

Je partais en solo, et je reviens le coeur rempli de nouvelles rencontres. Régine, Fred, Manu, Michael, Sylvain, David, Prune, Thierry, Loic, Vincent, Fred aussi, Hervé, Christophe, Stéphane, la Team OGAE, et toutes celles et ceux que je n’ai pas cité, que j’oublie (veuillez m’excuser par avance) : je ne remercierai jamais assez Turin et Alvan & Ahez de nous avoir mis sur le même chemin. Vous avoir rencontré par ces jours et ces nuits turinoises est l’un des plus beaux cadeaux que m’ait fait ce séjour.

Longtemps, j’ai vécu l’euro-passion en solo, incompris de tous – et je le reste d’ailleurs en partie largement des néophytes, dont beaucoup gardent une vision très étriquée et caricaturale de l’Eurovision. Il a fallu que je découvre L’Eurovision au Quotidien. Il a fallu que je trouve le courage de m’y dévoiler et d’en devenir un commentateur assidu. Il a fallu que Pauly me propose de rejoindre la rédac’. Et il a aujourd’hui fallu que je vive l’Eurovision de ma chair et de ma sueur, que je me réfugie dans sa bulle une semaine durant, pour poser les mots de SOA : T’inquiètes pas, t’es pas seul.

Difficile de sortir de cette bulle, et surtout de conclure ce carnet de voyage, pour beaucoup illisible de par sa longueur, mea culpa, vous me savez prolixe. Parler Eurovision quand on vit l’expérience sur place pour la première fois n’est guère évident. L’émotion se passe parfois tellement de mots … Pas de mots, non. Sauf un : extraordinaire.

Oui, l’organisation italienne était clairement médiocre sur à peu près tous les plans. Oui, la réalisation était catastrophique et l’ensemble souffrait d’une absence totale de récit de l’Eurovision. Oui, l’Italie aurait gagné à meilleure mise en valeur quand on ose traduire la plus belle langue du monde en anglais. Oui, l’Eurovillage était mal fichu et il était complètement stupide de confisquer les chargeurs externes (surtout quand on a une batterie en mode encéphalogramme plat). Oui, j’aurais aimé voir la France figurer plus haut, et non, la victoire ukrainienne ne me convient pas sur le plan de l’Eurovision – pour les raisons édictées plus haut. Même si, aujourd’hui, j’ai envie de retenir la puissance du symbole pour une population à qui Kalush Orchestra apporte aujourd’hui un peu de baume au coeur.

Mais de Turin, c’est le goût de l’extraordinaire que je retiens, et il vaut aisément 439 points. L’extraordinaire bonheur d’avoir enfin goûté à l’Eurovision depuis son pays hôte. L’extraordinaire chance de vivre et de jouir – oui, jouir ! – du show depuis la salle, trois fois de surcroît, et d’en prendre plein les yeux et les oreilles. L’extraordinaire sensation du battement de coeur à mesure qu’approche le début du show. L’extraordinaire joie de participer pleinement à l’Eurovision, en tant que spectateur, et d’en toucher les lieux saints : la salle, l’Eurovillage, la boutique, les affiches, l’Euroclub, … L’extraordinaire possibilité de rencontrer nos représentant·es français·es, de les soutenir, de leur envoyer de good vibes. L’extraordinaire euro-miracle de partager cela avec les siens qu’on a mis tant de temps à rencontrer et à oser approcher : les eurofans. L’extraordinaire possibilité d’ajouter une nouvelle destination à ses carnets de voyage, la belle Turin, aux coins regorgeant de monts et merveilles. L’extraordinaire cadeau de poser à nouveau le pied dans le pays de mes racines lointaines. Straordinario.

Straordinario, tout simplement.

Et donc, l’année prochaine, rendez-vous à … ?

© Rémi P.