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Le bénévolat, pour «partager un peu de ce qui nous a été donné»

Près de la moitié des Suisses âgés de 55 à 74 ans exercent une activité bénévole, fournissant des services qui n’existeraient pas autrement. Alors qu’un colloque sur le sujet se tiendra le 13 mai à Berne, nous avons rencontré des retraités qui œuvrent auprès des requérants d’asile à Vallorbe, à l’enseigne de l’association Aravoh

Pour le directeur de la Société suisse d’utilité publique Lukas Niederberger, l’un des enjeux actuels est de convertir au bénévolat la génération qui parvient aujourd’hui à la retraite. — © Flashpop / Getty Images
Pour le directeur de la Société suisse d’utilité publique Lukas Niederberger, l’un des enjeux actuels est de convertir au bénévolat la génération qui parvient aujourd’hui à la retraite. — © Flashpop / Getty Images

C’est une simple porte de cabine. Une structure discrète, ancrée sur le béton du parking de la gare de Vallorbe. Les rails d’un côté, le village et la forêt de l’autre. Partir ou rester… tout un symbole. Car dès 14h, et ce chaque après-midi, les stores se relèvent et la porte d’un blanc fatigué s’ouvre pour accueillir les requérants d’asile stationnés dans le centre fédéral tout proche. Ici, café, thé, biscuits et jeux de société sont à disposition durant deux heures et demie afin de ne pas ronger son frein.

Ce jour-là, c’est Marie-Thérèse Guanter qui prépare la salle. Cette ex-pharmacienne vigoureuse s’est engagée récemment pour l’association Aravoh qui œuvre auprès des personnes migrantes et tient notamment ce lieu baptisé Vallorbe Café. Elle est vite rejointe par Suzanne Valet, enrôlée depuis quinze ans.

Leur point commun? Comme les trois quarts des bénévoles actifs à l’accueil, elles sont retraitées. «J’aurais tout à fait de quoi m’occuper, et d’ailleurs je suis plutôt quelqu’un de solitaire, explique Marie-Thérèse, mais j’ai eu souvent affaire dans mon métier à des personnes issues de l’immigration et j’aurais aimé les aider. Ici, on ne peut pas toujours bien communiquer, mais on amène un peu de chaleur humaine.»

Cultiver le lien

Tous les cinq ans, la Société suisse d’utilité publique (SSUP) publie un rapport intitulé «Observatoire suisse du bénévolat». Le dernier, sorti en 2020, établit que plus de la moitié des personnes en âge d’être retraitées sont actives bénévolement. «Une grande partie du bénévolat formel* se fait dans les associations sportives, ce qui explique que les hommes font plus de bénévolat formel que les femmes. Les femmes sont plus actives dans les organismes sociaux et culturels. Mais bien souvent, l’activité physique diminue à la retraite, ce qui fait que ces personnes se tournent vers le domaine social», détaille Lukas Niederberger, directeur de la SSUP.

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Et parmi les motivations invoquées par les aînés, il y a le maintien des contacts sociaux, ces derniers se réduisant souvent à la cessation d’une activité professionnelle. Tout aussi centrale à leurs yeux: l’envie de «rendre» à la société ce qu’on a reçu, comme le souligne Suzanne Valet, les yeux brillants. «Depuis l’enfance, j’estime avoir été très chanceuse. Maintenant, je veux redonner, partager un peu de ce bonheur, tout en étant consciente que le bénévolat est gratifiant pour moi.»

La valse des valises

Plus tard dans la journée, à Vallorbe, c’est au tour d’un autre binôme d’entrer en scène: Elsbeth Willi et Jocelyne Jeanmonod, également retraitées. La première installe ses boîtes de biscuits (maison) sur le comptoir rouge laqué de la cuisine, tandis que la seconde remplit les thermos d’eau bouillante.

«Bonjour, bonjour.» Trois jeunes originaires d’Afghanistan se glissent dans un canapé tandis qu’au fond de la pièce, une petite bibliothèque fait la joie d’un quadragénaire qui s’attable avec un dictionnaire. Il finit par se lever et interpelle Jocelyne: «J’ai besoin de… luggage? Valise?» Il vient d’Iran et doit être transféré dans un autre canton. Elsbeth saisit un trousseau de clés, et murmure «J’espère qu’il en reste.» Car les valises s’écoulent comme des petits pains… Finalement, un bagage turquoise fait la joie du requérant. Ici, on demande peu les prénoms: rares sont les visages que l’on revoit. «On apprend à être dans le moment présent», résume Elsbeth.

Outre les bagages, les vêtements sont très recherchés. Les bénévoles les collectent et les lavent parfois chez eux. Un sacré travail. Les sciences sociales nomment bien cela ainsi: du travail gratuit. Pour autant, Lukas Niederberger met en garde contre le calcul qui voudrait comptabiliser les heures de bénévolat pour les traduire en économies de l’Etat.

«La condition pour cette addition est que si l’on avait de l’argent, on paierait pour ce travail. Mais si vous visitez un vieux monsieur dans un EMS, vous le faites gratuitement. Si l’Etat (ou ce monsieur) devait payer 55 francs par heure, probablement qu’il ne demanderait pas ce service. Dans une perspective économique, le bénévolat est donc un luxe. Et bien sûr, on arrive à une question philosophique et politique: pourquoi un banquier peut être payé 1 million de francs par an alors qu’on ne rémunère pas les visites dans un EMS? Les deux travaux ont du sens, peut-être même l’un plus que l’autre.»

La pandémie est passée par là

Tellement de sens que certaines ne comptent pas leurs heures. Yvette Fishman a 80 ans et assure la présidence d’Aravoh depuis sept ans. Elle en est membre depuis sa retraite prise à 60 ans. Une véritable fusée, jamais à court d’idées. Elle quittera néanmoins son poste cette année… «Il faut laisser la place aux jeunes», glisse-t-elle, rieuse. Car Aravoh rajeunit tout de même: de nouveaux bénévoles sont arrivés tandis que d’autres se sont retirés au milieu de la pandémie. «Une dizaine ont arrêté, et c’était, pour la plupart, des piliers. Certains venaient deux fois par semaine. Mais bon, il y a eu la peur et parfois des problèmes de santé», résume la présidente.

En effet, malgré les élans de solidarité, certaines associations caritatives se sont retrouvées amputées de leurs principales «petites mains». Si 33,5% de la population des 65 ans et plus pratiquait une activité bénévole en 2016 – à égalité avec la tranche des 45-64 ans – cette proportion a reculé pour atteindre 28% en 2020.

Sensibiliser de nouvelles recrues

«Le concept de vieillesse dans le contexte pandémique était un peu… dépassé. Il n’y avait aucune distinction entre les jeunes retraités et les personnes âgées fragiles», soupire Lukas Niederberger. Selon lui, il reste désormais un enjeu de taille: convertir au bénévolat la génération qui parvient aujourd’hui à la retraite et a peut-être moins grandi avec l’idée – très partagée au sein des Eglises – d’aider son prochain. «Il va falloir que les communes, les organisations et les entreprises agissent. C’est aussi une génération dont certains membres n’ont pas d’enfants. Ils ont du temps, des réseaux, des ressources. C’est une «clientèle» pour les agences de voyages. Tout le monde veut la gagner.»

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C’est une autre sorte de voyage que vivent à Vallorbe les bénévoles et leurs bénéficiaires. Dans la pièce, les conversations se sont taries. Jocelyne et Elsbeth observent, souriantes, un petit groupe de requérants lancés dans une partie de dominos. Seul persiste le bruit des pièces qui dégringolent sur le bois de la table. Dans l’embrasure de la porte, l’homme au dictionnaire laisse sa cigarette se consumer, les yeux dans le vague. Il se retourne, lance un «au revoir!», saisit sa valise bleue et disparaît.

* engagement au sein d’une association ou organisation

NOTE

Le 8e colloque de la Société suisse d’utilité publique (SSUP) aura pour thème «Le bénévolat des 65 ans et plus» et se tiendra le 13 mai au Kursaal de Berne


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